Fred nous a embarqué dans sa Berlingo, avec les portières arrières sur lesquelles il faut tirer fort pour les fermer, tout en prenant le risque d’y perdre un doigt. Quand on sort de la voiture, il prend avec lui un sécateur et sa machette. La scène est cocasse : un homme sort deux jeunes filles de sa fourgonnette, à la lisière de la forêt, son arme à la main. Aujourd’hui, c’est jour d’expédition. Il faudra batailler avec les branches d’arbre, Fred est prêt pour n’importe quel défi.
Sec. Tout est si sec. On peut essayer de remonter le ruisseau, peut-être qu’on y trouvera encore un filet d’eau. Ici, un ancien lavoir. Regarde, la plaque ! Nous l’avons restauré en 2019. La fontaine ne coule plus, désormais. Elle coulait encore, quand nous avons fait les travaux. Plus loin, un trou. Normalement, il y a une cascade. On peut désormais marcher sur le lit de la rivière et en ressortir, les pieds secs.
Nous reprenons la voiture, pour poursuivre l’aventure. Quelques centaines de mètres plus loin. Ces vignes-là ont été touchées par l’inondation en 2002. Fred : je venais faire des vendanges ici, quand j’étais plus jeune. En 2002, lors de la crue, il y a eu des dégâts. Il désigne un espace entre la vigne et le cours d’eau. Tous les pieds de vignes ont été emportés. J’y ai laissé une voiture. Ma femme était coincée à Saint-Vincent-Lacoste, elle avait laissé la voiture dans un endroit où l’eau n’était jamais montée. Mais cette fois, elle est restée coincée. J’ai voulu la récupérer, je suis parti avec la voiture. Mais ça n’était pas une bonne idée. Patrick D. : on le dit pourtant ! Quand il fait mauvais temps, il faut rester chez soi ! Fred : oui, mais je voulais aller chercher ma femme.
Derrière le Mas Lallemand. Regarde, là. Patrick D. se baisse, et pointe du doigt des plantes sur la berge, à 30 centimètres de l’eau qui coule. Normalement, en période d’étiage, l’eau monte jusqu’ici.
Étiage. C’est un des nouveaux mots que j’ai appris, depuis que je suis au Pin. C’est le début minimal d’un cours d’eau. Ripisylve, aussi. C’est un espace boisé ou avec des plantes herbacées, le long des rivières ou des cours d’eau. En cet après-midi de la mi-octobre, il fait une trentaine de degrés. Patrick et Fred, nos référents en matière d’eau car fervents pêcheurs, nous emmènent voir ruisseaux du Pin. Enfin, deux sur trois, car le dernier est complètement à sec.
C’est une autre façon d’enseigner. Nous marchons ensemble. Des doigts se tendent, pointent, on se baisse, on écoute les histoires, les mémoires de ces deux hommes. Et on absorbe tout ça, soudainement, on a l’impression que ça fait des années que l’on habite ici. On sait que ce mas a été racheté par des étrangers récemment, que ce champ en bordure de village était couvert de cerisiers mais que les nouveaux propriétaires ont décidé d’y planter de nouvelles essences d’arbres. Ce sont des artistes, ils font des spectacles, de temps en temps. On sait où se cache l’ancienne mine, que ce talus était un puit, que si l’on suit ce chemin qui n’est indiqué nulle part, on tombera sur une grotte. On sait que pendant le confinement, ces chemins, on pouvait les arpenter tranquillement, peu importe que le rayon des 1km ait été franchis ou pas. On apprend, et eux s’amusent. Un vieux barrage est bouché par les feuilles mortes ? Ni une ni deux, les voilà les mains dans l’eau, pour que la rivière se remette à couler. Zut ! L’eau est montée dans le trou où Patrick D. avait mis son pied !
L’autre jour, c’est Anthony qui nous a emmenées dans les vignes. Anthony, c’est un viticulteur fraichement reconverti. Et l’on parle de sulfite, de grenaches, de cinsaut, de clairette. De mésanges, de haies à planter, de vieilles vignes et de glyphosate. Une autre fois, avec Patrick P. pour un atelier carthagène.
Bref, depuis un mois que nous sommes ici, on apprend. Mais on a de la chance, on apprend au soleil, dans la sècheresse, avec le beau temps.
Marion Chetaille