Derrière le gîte du Salin de Badon, à l’ombre des tamaris fleurissant, débute le sentier des foulques. Les quelques premiers mètres sont un couloir végétal où la fraicheur des arbres et de l’ombre lave les sens et la conscience des crasses accumulées au cours de la journée. L’odeur mielleuse des fleurs et des jeunes pousses flotte dans l’air. S’y ajoute les chants des rossignols et palombes assez têtus pour résister aux agressions du Mistral, ou bien trop enivrés par les aromes du printemps pour y prêter attention. Le paysage s’ouvre alors sur des terres de sansouires qui s’étendent vraisemblablement à l’infini, et, se dévoile à mes yeux un véritable désert. Désert non pas dans le sens où ces landes sont vides de vie – car elles en regorgent – mais plutôt dans l’impression qu’aucun homme ne les a jamais arpentées. Ces sansouires avec leurs troupeaux de salicornes parsemées sur un sol blanc de sel, sec et fissuré ; tels des grains de beauté constellés sur une peau vieillissante mais dont l’éclat est remincissent de jeunesse. Là où l’humain et le monde qu’il construit – où plutôt qu’il détruit – n’est qu’un lointain souvenir et où les seules traces de passages sont celles des sangliers et des chevaux de Camargue ; ces chevaux dont on raconte qu’ils sont nés de l’écume de la mer.
À mesure que le sentier serpentine à travers ces terres imbibées de mystère, on a l’impression de plonger au plus profond du monde, comme si la terre nous laissait apercevoir un de ses plus grand secrets. Ici, les tamaris, qui tantôt étaient verts et fleuris, sont gris. Leurs grincements forment une mélopée morbide et, sous le souffle du Mistral, ils se recourbent et viennent s’accroupir dans les engains. Ici, on prend conscience de l’antinomie inhérente à ce milieu. Capable d’une extrême délicatesse mais qui démontre à la fois une dureté qui ronge le corps et le cœur.
Mais, ceux-ci ne sont pas des terrains macabres et funèbres : tout à coup, l’homogénéité des sansouïres est rompue. Entre les fissures du sol et les corps rigides des arbustes morts se dessine un havre de paix. Un étang, illuminé à la fois par les lueurs pastel du jour s’évanouissant, et par l’éclat magenta des flamants roses, s’offre à nous. On a l’impression qu’ici, le temps n’existe pas ; le mal non plus d’ailleurs.
C’est quoi la Camargue, qu’est-ce que c’est que d’y vivre ? Difficile de répondre à cette question. Difficile car c’est une terre aux nombreux visages mais aussi car – et je pense que c’est le propre d’une expérience du service civique – je suis trop engloutie par cet environnement, trop occupée à le vivre pleinement, pour en tracer les contours de l’extérieur.
Peut-être que dans quelques années, avec le recul, je pourrai en dresser une description en quelques phrases. Mais pour l’instant, j’ai choisi l’option facile de vous en brosser un portrait par un récit anecdotique plutôt que par une réelle description.
J’espère que ceci vous offre une fenêtre, aussi petite soit-elle, vers la Camargue ou, du moins, la vision que j’en ai.
Luhta Makabu