Aujourd’hui je me réveile tôt alors qu’on est dimanche. Je me lève vite et pars me promener toute seule sur la Via Rhôna. Le sourire aux lèvres j’inspire à plein poumons dans le vent, je joue – à travers mon appareil photo – avec les reflets du fleuve. J’avance un pied devant l’autre et souvenirs après souvenirs : ça fait un mois à présent que j’habite à Caderousse !
Habiter quelque part, c’est apprivoiser les lieux, traîner sur la digue qui cerne le village, capturer quelques fleurs en photos, reconnaître quelques maisons, réussir à ouvrir la serrure grincheuse du premier coup, ne plus se perdre dans le dédale des ruelles, et avoir en mémoire les horaires de chacun des magasins ou services municipaux.
Mais habiter, c’est surtout être attaché aux personnes qui partagent ces lieux avec nous, et j’ai senti ces liens germer et se tisser au fil des semaines de septembre. Les visages des enfants de l’école se dessinent directement dans ma tête, ceux qu’on a retrouvé midi après midi pour se préparer à candidater au conseil municipal des enfants, avec leurs affiches à dessiner, leurs idées et programmes à construire, le trac de l’oral à vaincre et les nombreuses bribes de leurs vies qui se glissaient dans les conversations ; mais aussi les enfants des récréations, qui dès le deuxième jour couraient dans nos bras pour nous raconter que « ma sœur elle me manque quand même, elle a un an depuis pas longtemps tu sais ? Mais elle est chez mon père et moi je suis chez ma mère cette semaine… Heureusement que j’ai mes amies ici tu sais ? » et autres informations capitales.
Puis viennent les présences de notre tutrice, Christelle, toujours présente aux petits tracas et pleine de bonne humeur, et de sa collègue Sophie qui râle avec nous de bon cœur quand tout semble prendre du temps à se mettre en place… Notre deuxième mission, mettre en place des jardins communaux, semblait au départ engluée dans l’administratif que nécessite la création d’une association, ce qui embourbait mon enthousiasme au même degré (profondément !). Mais les choses bougent, nos idées émergent, le bateau redémarre et ça motive ! On vous racontera ça plus tard.
Je pense beaucoup aux villageois aussi, qui bien que plus discrets sont à chaque coin de ma tête comme à chaque coin de rue, aimables et tranquilles. Caderousse a deux visages : le village calme, quasi désert au milieu de la journée, cache 57 associations qui s’animent un peu partout, et de grands évènements, comme la fête votive accueillant des forains et illuminant le ciel d’un très long feu d’artifice (presque une demi-heure !).
Ça procure un sentiment de confort, comme une bouillotte sur le cœur, la première fois qu’on se sent chez soi quelque part. J’attribue à plusieurs instants l’apparition de ma bouillotte caderoussienne :
Lorsque les murs blancs de notre salon, un brin ambiance hôpital, ont été recouverts par nos soins d’une guirlande de cartes postales et embellis des ombres de nos plantes ; lorsqu’on s’amuse d’un jeu de mots tout en travaillant ; lorsqu’on analyse les réactions passées des enfants sur le chemin de l’école ; lorsqu’on désamorce les problèmes en assemblant les dialogues ; lorsqu’on file sur les routes de campagne à vélo ; lorsqu’on débat de quelle boîte de conserve on va acheter ; lorsqu’on se ménage des moments de solitude, de repos. Toute une mosaïque de la vie quotidienne s’amoncelle, parfaitement agencée grâce à ma coloc et collègue, j’ai nommé Lilou !
C’est aussi une soirée du voisinage à laquelle on m’a conviée qui m’a plongée dans le sentiment profond d’habiter là. Une dizaine de voisines et voisins, tous copains depuis longtemps au ton des nouvelles qui fusent entre eux, me précisent que je suis face « au meilleur de Caderousse, nous on aime pas les cons et il y en a pas mal au village ! », et de m’expliquer tous les conflits, les gens à fréquenter et ceux à éviter, un conflit important se trame entre l’association locale de protection des chats et certains riverains haineux des félins. Mais la conversation dérive sur l’appréciation des décisions municipales « ah bon, le maire a fait ça ? - Oui, tu te rends compte ? », les nouvelles de chacun « je me suis rendue compte que celui à qui j’envoyais des mails sur l’astronomie était en fait mon voisin ! Il organise des observations nocturnes, viens voir si tu veux ! », et s’émiette lorsque certains décident de danser : peu importe les générations, 25 ou 60 ans, la moitié reconnaît les chansons et s’amuse à bouger dans tous les sens, pendant que d’autres (générations mêlées ici encore) critiquent en riant cette forme de danse. On finit par tous goûter la tarte aux pommes que la voisine du dessus a apporté, choisissant finalement de descendre pour profiter de l’ambiance. À 23h, certains voisins continuent la soirée chez l’un d’entre eux, quelques autres dont je fais partie décident plutôt de rejoindre leur lit, on se dit donc bonsoir d’un salut de la main. Avant de rentrer chez moi, je lève la tête, les étoiles tracent dans le ciel un toit chaleureux. Merci Caderousse de m’accueillir !
Élise Michel